Les mains lâchées d’Anaïs Llobet

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Editions Plon – 154 pages
Littérature française

Une vague monstrueuse, soulevée par un typhon meurtrier, dévaste les Philippines en quelques minutes et ravage sa myriade d’îles.
Sur l’une d’elles, Madel reprend connaissance, seule au milieu du chaos. Jan, l’homme qu’elle aime, a disparu. Et elle a lâché la main de l’enfant qu’il lui avait confié.
Au prix d’une difficile anesthésie des sentiments, la jeune journaliste se plonge dans son travail, en équilibre entre information et voyeurisme, quand tous les médias du monde se tournent vers les Philippines.
Recueillir la parole survivante, nouer des liens avec les rescapés, c’est conjurer la mort. Mais un typhon de cette violence ne laisse jamais en paix ceux qu’il a épargnés.

MON AVIS : 

En plongeant ses lecteurs dans les eaux glaciales du chaos, Anaïs Llobet tente peut-être d’exorciser ses propres démons. Une immersion assez violente, au coeur d’un typhon devenu tsunami qui a coûté la vie à de très nombreuses personnes et en a plongé des milliers d’autres dans le dénuement le plus total. Les mains lâchées redonne une voix à ces âmes, à leur souffrance, leurs incompréhensions et donne corps à leur courage. Un récit d’impuissance sur fond de critique des médias, vus comme un miroir à sensation de nos sociétés qui, lointaines spectatrices, ne rechercheraient que le sensationnel pour se souvenir. Car c’est bien là que se situe tout le paradoxe de ce roman pris au piège d’une confrontation entre le fait de rapporter l’information et celui de faire de l’audience. Un parti pris assumé par l’auteure qui démontre s’il en était besoin, l’absurdité de certaines prises d’informations face à l’urgence.
Un récit sombre et poignant, campé par des personnages à la fois héroïques et lâches, défaits et résistants. Un regard parfois froid sur une catastrophe sans précédent, caché par un filtre journalistique qui protège le récit d’une certaine forme de pathos mais qui pourrait créer une distance parfois trop importante. Une oeuvre néanmoins éloquente, qui nous entraîne, spectateurs lointains de cette odieuse catastrophe, au coeur de vies brisées et de destins broyés.

Rodjun se réveille, pleure. J’essaie de le rassurer pour ne pas entendre les battements de mon coeur. Un train à toute vitesse est lancé contre nous, il frôle les murs, part puis revient, nous chahute. Yolanda joue avec la maison comme un chat avec une souris et, un instant, je pense que ça y est, nous nous sommes envolés, nous tournons dans l’oeil du typhon. Le toit craque de partout. D’un coup, les vitres explosent, une noix de coco roule au pied du lit. Lally hurle, pousse la tête de Rodjun sous la couette, pour le protéger des éclats de verre qui volent dans la pièce, comme des oiseaux devenus fous.


Le bourdonnement continue. Puis, comme si un immense géant assenait une claque à la maison, les murs vacillent. Une vague déferle dans la chambre. Le lit est projeté contre le mur, Lally chute, Rodjun attrape ma main, je sombre.


-Vous êtes des journalistes, dit Baba, après un silence. Ne vous laissez pas enivrer par l’odeur de la mort. Nous ne sommes pas des charognes, ne devenez pas des vautours.


David a perdu foi en sa religion, la médecine, il a compris que ses armes étaient bien faibles face à la colère du ciel. Il vient de découvrir qu’on peut survivre au typhon mais pas au deuil, il vient d’apprendre qu’on peut mourir de tristesse.

-Un grand merci à Babelio et aux éditions Plon pour la découverte de ce roman et de son auteure !

Challenge au fil des saisons et des pages : 2/5

14 réflexions sur “Les mains lâchées d’Anaïs Llobet

  1. Il me fait de l’oeil à chaque fois que je le croise en librairie. Il faudrait que je me sente prête psychologiquement pour passer à l’attaque ! (Je ne suis pas toujours très « romans catastrophe »). Bisous Yuko !

    • C’est vrai qu’il donne envie avec couverture toute douce. Mais tu as raison, il ne faut pas trop s’y fier. L’intérieur relève effectivement l’ampleur de ce genre de catastrophe.

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